L’affiche de la prochaine édition de l’Affordable Art Fair Brussels met à l’honneur une œuvre de Jeff Robb.
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Faites la connaissance Jeff Robb dont la fascinante œuvre lenticulaire intitulée « Aperture 8 (Camille) » fait l’affiche de la 16e édition de l’Affordable Art Fair Brussels (5 – 9 février 2025, Tour & Taxis). Nous avons rencontré l’artiste londonien et avons discuté avec lui de son parcours, de sa pratique, de son processus créatif et bien plus encore… Poursuivez votre lecture pour connaître toutes ses confidences !
J’ai pris mes premières photos avec un appareil photo Polaroïd à l’école primaire, et je les ai encore. Puis, j’ai eu un professeur génial à l’école qui m’a appris à développer mes photos. J’étais très jeune, mais je me suis vite passionné pour cette technique et j’ai installé ma propre chambre noire à la maison.
Mon père, qui était professeur des beaux-arts, peintre paysagiste et passionné de photographie, ne voulait pas que je fasse une école d’art. Lors de mon entretien pour entrer dans une école pour étudier la photographie, la personne chargée de l’entretien m’a dit : « Vous êtes déjà un bon photographe et un bon développeur. Nous pourrions sans doute vous aider à vous perfectionner au cours des trois années de cursus, mais vous avez déjà toutes les compétences. Ne voudriez-vous pas faire d’autres études ? » J’ai répondu que j’étais bon en biologie et que je pourrais sans doute faire des études dans ce domaine. Mon interlocuteur m’a suggéré de suivre cette idée, et mon père m’a lui aussi poussé à faire des études scientifiques. J’ai voulu leur faire plaisir et j’ai donc étudié la botanique à l’université de Leeds. Pendant cette période, j’ai passé beaucoup de temps à prendre des photos au Parc national des Yorkshire Dales, que je développais ensuite dans la chambre noire de l’université. J’ai donc obtenu un diplôme scientifique, mais j’ai quand même réussi à beaucoup pratiquer la photographie. Une fois mon diplôme en poche, mes parents ont été d’accord que je m’inscrive dans une école d’art.
Je suis entré à l’université de Loughborough sous la direction de Nick Phillips, que j’avais rencontré lors d’une exposition de photographies de paysage à laquelle j’avais participé pendant mes études scientifiques. Il a mis à ma disposition un espace où installer un studio d’holographie, que j’ai construit en suivant un livre. C’est grâce à mes hologrammes que j’ai pu me présenter au Royal College of Art. Mon parcours peut sembler inhabituel pour un tel établissement, mais avoir un étudiant avec un diplôme scientifique plutôt qu’un énième diplômé des Beaux-arts était stimulant pour eux.
Lorsque j’étais au Royal College of Art, ils ont introduit un système de multiplexage qui nous permettait de créer des hologrammes à partir d’une séquence de photographies plutôt qu’à partir d’objets fixes uniquement. L’école disposait également d’un studio d’holographie pulsée qui permettait de figer un mouvement, et donc de créer des hologrammes de personnes. L’holographie traditionnelle permet des choses qu’aucune autre technique ne peut ; la manière dont elle joue avec la lumière crée des images uniques. Il s’agit à bien des égards d’une forme d’art magnifique que peu de personnes ont explorée à sa juste valeur. L’un des problèmes est l’éclairage, et l’autre est que cette technique coûte très cher. Créer des hologrammes demande beaucoup de patience et de minutie. C’est une forme d’art très technique qui nécessite un environnement exempt de toute vibration et du matériel très coûteux, comme des tables d’isolation, un laser, des éléments optiques… Se lancer seul est très difficile, il faut vraiment le vouloir. Au Collège, on nous disait qu’un étudiant en holographie coûtait 100 fois plus cher qu’un étudiant en peinture.
Mon père et mes professeurs, Walter Clarke et Jonathan Ross, m’ont énormément aidé à devenir un artiste à plein temps. Sans eux, un peu de chance et beaucoup de travail, cela aurait été impossible. Ma réussite est en fait un heureux concours de circonstances.
En quelques mots, ce procédé consiste à utiliser soit un appareil photo qui se déplace le long d’un rail, soit plusieurs appareils photo qui capturent simultanément différents angles. Ces images sont ensuite entrelacées à l’aide d’un logiciel, puis imprimées. Et enfin, une feuille lenticulaire (une feuille de plastique contenant de nombreuses petites crêtes) est appliquée pour créer la tridimensionnalité.
C’est un peu comme fabriquer un meuble. Vous partez d’une matière première (le bois, par exemple) et vous l’assemblez de manière simple ou complexe, selon que vous créez un meuble pour IKEA ou un meuble design complexe de style Chippendale. Les deux méthodes permettent d’obtenir un meuble fonctionnel, mais l’approche et la qualité d’exécution varient considérablement.
De la même manière, la photographie lenticulaire peut paraître très simple : il suffit de prendre quelques photos, de les entrelacer, de les imprimer et d’ajouter une lentille. Sur le papier, cela semble facile, mais dans les faits, c’est une autre histoire. Le type de photographie lenticulaire le plus courant permet de créer des images constituées de deux images. C’est bien loin de ce que je fais.
Début des années 2000, j’ai aidé Chris Levine à réaliser son portrait de la Reine Elizabeth au Palais de Buckingham. À cette époque, la photographie numérique était arrivée à un point où elle pouvait rivaliser avec la photographie traditionnelle en 35 mm.
La photographie lenticulaire grand format est devenue possible grâce aux imprimantes numériques grand format. J’ai alors opéré des changements importants dans ma pratique, passant des méthodes analogiques traditionnelles de la photographie argentique aux appareils photo numériques, aux grandes imprimantes numériques, aux objectifs spéciaux et aux logiciels informatiques. Des photographies lenticulaires sont réalisées depuis plus de 100 ans, cette technique n’est donc pas nouvelle, mais le passage au numérique l’a rendue plus abordable et modulable. Je peux désormais créer des œuvres faisant jusqu’à trois mètres sur deux, ce qui est impossible avec l’holographie.
Pouvoir réaliser moi-même des impressions grand format, manipuler, modifier et améliorer les images est devenu très important dans mon travail. Cette immersion dans le processus m’a transformé.
« Aperture 8 (Camille) » reflète ma profonde fascination pour le corps en tant que sujet. Je le trouve extrêmement captivant. Ansel Adams a dit un jour que « la photographie est une poésie austère et flamboyante du réel ». Je trouve que cela résume bien l’essence de la photographie du corps humain. Il s’agit selon moi d’un sujet intrinsèquement complexe. Et puis, bien sûr, il est la matière première des beaux-arts depuis des siècles.
Dans cette œuvre, ce qui est apparemment impossible devient possible, faisant de « Aperture 8 (Camille) » la suite logique de ma série « Unnatural causes ». J’essaie constamment de réinventer la photographie figurative en me concentrant sur des idées simples, mais profondes.
Avoir des idées à la fois simples et bonnes est difficile, car il est très tentant de compliquer les choses avec des accessoires et des arrière-plans. Que ce soit pour la série « Unnatural Causes » ou pour la série « Aperture », je suis parti de quelque chose d’extrêmement simple – un corps dans un espace défini – et l’ai exploré en trois dimensions. L’objectif était de créer quelque chose d’à la fois simple et sophistiqué, me permettant de mettre en valeur différentes parties du corps et de jouer avec la lumière. J’ai travaillé avec de nombreux modèles, chacun apportant des formes et une dynamique uniques au projet. Certains modèles étaient très proactifs, d’autres avaient davantage besoin d’être dirigés.
L’idée de départ de la série « Aperture » m’est venue d’une sculpture. Une œuvre en bois percée d’un trou et soutenue par un échafaudage. En général, les images en 3D sont prises horizontalement pour s’aligner sur la vision humaine. Mais pour cette série, j’ai utilisé l’appareil photo à la verticale, puis j’ai tourné les images à 90 degrés. Toutes les photographies donnent l’illusion que les modèles défient la gravité avec des positions impossibles à tenir dans la réalité. Cependant, les gens ne perçoivent pas ces images comme étant complètement normales et possibles. « Camille » fait référence au prénom du modèle.
Mon intérêt pour la photographie lenticulaire est né d’un désir d’explorer toutes les possibilités qu’elle offre. Mon objectif est de repousser les limites de ce que la photographie lenticulaire peut réaliser et d’évoluer sans cesse en explorant tout le potentiel de cette technique. Je ne sais pas si l’on peut réellement parler de progrès dans mon travail, mais je cherche constamment à innover et j’essaie de ne pas refaire les mêmes choses.
Récemment, je me suis lancé dans la création de grandes sculptures en acier inoxydable intitulées « Affinity ». J’ai également réalisé de nombreuses peintures abstraites que j’ai ensuite transformées en art lenticulaire. Cette progression n’est peut-être pas linéaire, mais elle traduit un changement d’approche. D’un point de vue technique, je me suis sans cesse perfectionné ; aujourd’hui, j’utilise des installations très précises contrôlées par ordinateur, avec plusieurs appareils photo plein cadre sophistiqués. Cela me permet des choses que je n’aurais pas pu faire il y a 20 ans. Aujourd’hui, je travaille donc sur des projets plus difficiles et coûteux, ce qui me permet d’obtenir des résultats de meilleure qualité.
Je lis beaucoup de livres de philosophie, de psychologie et de physique. Je pense que nous avons encore énormément de choses à découvrir sur l’univers et la matière. Le temps, la lumière, notre existence – comment nous sommes arrivés sur terre – sont des concepts que nous ne comprenons pas encore entièrement. Ces questions fondamentales me fascinent. Lorsque je cherche de nouvelles idées, j’en reviens toujours à ces sujets fondamentaux et j’essaie à chaque fois de les approcher avec un regard nouveau.
Les livres et mes lectures constituent souvent le point de départ de mon travail. Mon inspiration me vient rarement d’autres artistes. Il y a bien sûr des artistes extraordinaires, comme James Turrell qui joue avec la lumière de manière magistrale. La réponse émotionnelle que l’on ressent en admirant l’une de ses œuvres est incroyable. Mais je ne suis pas vraiment influencé par d’autres artistes. Ce sont les idées qui m’intéressent, je réfléchis beaucoup, je dessine, j’écris, je fais des croquis et je me laisse porter par mes pensées.
Je pense que le monde contient beaucoup de distractions inutiles, j’essaie donc de les éliminer et de me concentrer sur ce qui compte vraiment. D’un point de vue artistique, j’essaie de revenir aux rudiments et aux fondamentaux. J’essaie de simplifier les idées visuelles et de les ramener à leur essence. La simplification des images laisse de la place à l’imagination du public, alors que les images complexes sont souvent prescriptives.
Je n’ai pas vraiment de journée type. Je peux passer une journée entière à lire, et le lendemain prendre des photos. Il y a aussi des choses que l’on doit faire en tant qu’artiste : je dois parfois m’occuper de tâches administratives ou travailler sur des commandes, comme un projet que j’ai actuellement pour un restaurant.
Chaque journée est assez variée et ressemble rarement à une autre. Parfois, je ne me sens pas inspiré pendant plusieurs jours, puis un matin, je décide qu’il est temps d’aller à l’atelier et de concrétiser mes idées. La pire chose à faire est de forcer sa créativité. Une journée à rêvasser ou à laisser venir les idées peut être aussi précieuse qu’une journée de travail intense.
Je crois que le meilleur moment est celui à venir. Cela peut sembler cliché, mais j’en suis convaincu. Je ne suis pas quelqu’un qui regarde en arrière, ce qui me motive, c’est ce qui s’en vient.
Cela dit, photographier Dr. Dre à Los Angeles a été une expérience incroyable et un des grands moments de ma carrière.
Je crée des œuvres d’art, mais ce n’est pas moi qui les vends, je vois donc rarement les interactions directes avec les acheteurs. Mais je reçois parfois des lettres touchantes de personnes qui me disent la joie que le fait de posséder une de mes œuvres leur procure. Ils me disent souvent découvrir quelque chose de nouveau à chaque fois qu’ils la regardent. Savoir que mon art apporte un tel plaisir et une telle valeur à d’autres est incroyablement gratifiant. Qu’est-ce que je pourrais vouloir de plus ?
Plusieurs de mes amis qui ne s’intéressent pas particulièrement à l’art m’ont dit avoir acheté une œuvre lors d’une Affordable Art Fair. La foire fait tomber les barrières et rend l’art plus accessible à un public plus large. Cette approche a quelque chose de rafraîchissant. Will Ramsay a eu une idée de génie en créant cette foire et il est parvenu à démocratiser l’art. Contrairement aux foires traditionnelles où les visiteurs peuvent se sentir jugés ou mis sous pression, Affordable Art Fair offre une atmosphère détendue.
Ne manquez pas la 16e édition de l’Affordable Art Fair Brussels (5 – 9 février 2025, Tour & Taxis) et venez admirer les œuvres de Jeff au stand d’Envie d’art.